Enveloppée de sens : comment Alia Ali tisse la photographie dans ses récits

Du choix du tissu à la maîtrise de la lumière, Alia Ali explique comment elle crée des œuvres oniriques et immersives pour raconter des histoires bien au-delà du cadre...
« Le tissu n’est pas seulement un matériau, c’est aussi un langage », explique Alia Ali, artiste multimédia d’origines yéménite, bosniaque et américaine dont les installations puissantes transforment des textiles vibrants en récits profondément stratifiés. Dans son travail, des personnages anonymes, drapés de la tête aux pieds dans des tissus éclatants, se fondent souvent parfaitement dans des arrière-plans assortis. Dans d’autres œuvres, ils s’opposent de manière intéressante à des tissus contrastés. Les résultats sont à la fois visuellement saisissants et profondément symboliques : des paysages oniriques sculpturaux qui explorent l’identité, le déplacement et la perception culturelle.
Enveloppée de sens
Née en Autriche et élevée dans sept pays différents, la perspective mondiale d’Alia a influencé ses séries saisissantes, enracinées dans le futurisme yéménite. Comme dans tous ses projets, elle utilise le tissu non pas pour sa beauté accrocheuse, mais pour son histoire et ce qu’il représente, en tant qu’élément capable de relier ou de diviser, de dissimuler ou de révéler. « J’ai grandi entourée de couleurs et de motifs. Au Yémen, j’ai vécu dans la vieille ville, qui ressemblait à un village en pain d’épices, pleine de géométrie et de magnifiques textures organiques. Notre maison était également richement stratifiée, des fenêtres en vitrail aux tapis à motifs, en passant par les assiettes en porcelaine », explique Alia lorsqu’elle évoque la genèse de son travail. « De plus, au Yémen, on n’achète pas de vêtements prêts à porter. Vous vous rendez sur le marché du textile, vous choisissez vos tissus, puis le tailleur donne vie à votre projet. J’ai donc toujours considéré le tissu comme un langage. Il peut en dire tellement sur l’endroit où vous vous trouvez. »

Alia Ali
Que contient mon sac photo ?

Dans Madrugada, deux personnages posent comme des frères et sœurs dans un portrait de famille onirique, baignés par le clair de lune et entourés de fleurs nocturnes. L’œuvre évoque le moment liminal entre minuit et l’aube, lorsque les motifs se brouillent, que la lumière change et que le monde invisible commence à se dévoiler. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 22 mm, f/14, 1/200 s, 250 ISO, © Alia Ali
Alia cite le tissu en coton imprimé en wax hollandais à motifs vifs, largement associé à l’identité ouest-africaine mais produit en masse en Europe, comme exemple de la manière dont les textiles peuvent porter un poids politique plus profond, imbriqué dans les histoires d’appropriation, de migration, d’échanges culturels et de colonialisme. « Ce tissu est très politique en termes d’appropriation, et les histoires doivent s’aligner sur la politique de la photographie et le langage qui l’entoure. Comment faire une photographie plutôt qu’en prendre une ? Quelle est la signification du textile ? Tous ces éléments doivent s’aligner. »
Aujourd’hui basée entre La Nouvelle-Orléans, Paris, Marrakech et Jaipur, Alia n’est pas seulement Ambassadrice Nikon, mais aussi membre d’Art Jameel au V&A. Ses œuvres ont été exposées dans diverses institutions prestigieuses, dont le British Museum et l’université de Princeton. Bien que ses installations intègrent également la vidéo et la sculpture, elle affirme que c’est la photographie qui lui a d’abord donné une voix. « Mes parents étant linguistes, j’ai grandi entourée de sept langues, mais la langue la plus vaste que j’ai trouvée est la photographie », explique-t-elle. « Le langage parlé s’accompagne de manipulations et d’erreurs de traduction, de nuances de ton et de strates culturelles. Mais les images, bien que construites, offrent une sorte d’honnêteté. La photographie est devenue mon clavier. C’est ma façon de communiquer. L’image devient à la fois source et histoire, avec sa propre grammaire et sa propre syntaxe. »
De la conception à la création
Le processus créatif d’Alia peut commencer des années avant que son Nikon Z9 n’entre en jeu, débutant par la recherche, la conception ou la commande de textiles politiquement et culturellement significatifs auprès de maîtres artisans du monde entier, tissus qu’elle transforme en vêtements qui enveloppent complètement ses modèles (ou « sujets », comme elle préfère les appeler). Alia tapisse également l’arrière-plan de ses sujets et l’expose autour de l’œuvre finale dans le cadre de l’installation physique. Le résultat : une composition soigneusement élaborée qui crée un champ visuel homogène et immersif. « L’image devient un portail, une porte », explique Alia. « Je veux que les gens aient l’impression de pouvoir entrer dans l’image. »
Plutôt que de saisir des portraits statiques, Alia tire parti des vitesses d’obturation rapides et de la haute définition de son Nikon Z9 pour figer les moments les plus évocateurs de ses sujets en mouvement. « Dans mes travaux antérieurs avec un autre appareil photo, le processus était en fait très contrôlé. Je devais dire ‘Arrêtez, attendez’ et prendre l’image pendant que le processeur rattrapait son retard. Mais avec le Nikon Z9, le processeur est incroyablement rapide. Je peux donc laisser mes sujets libres de leurs mouvements et prendre autant d’images que je le souhaite, car la vitesse d’obturation est incroyable. Pas de flou, rien que du mouvement. Je dispose d’un excellent objectif et d’un boîtier phénoménal, tous deux devenus le prolongement de ma main. »
Grâce au mode haute vitesse de 60 vps de l’appareil photo, Alia affirme que cette technologie a également transformé l’expérience du sujet. « Imaginez-les sous tout ce tissu. Ce n’est pas toujours confortable et peut donner l’impression d’étouffer. Auparavant, les séances prenaient beaucoup plus de temps, car je devais retirer le tissu pour les pauses et, lorsque nous reprenions, je n’arrivais jamais à recréer le même pli au bon endroit. Mais avec le Z9, c’est tellement plus efficace, plus rapide, moins intrusif. Le processus est plus beau et, en fin de compte, les images que je choisis sont toujours celles en mouvement. Elles chantent. »

Dans sa série MASAI MARA, les sujets d’Alia sont entièrement enveloppés dans des tissus vifs, attirant l’attention sur les histoires de migration, de colonialisme et d’identité. Chaque tirage est monté sur aluminium Dibond et encadré à la main par l’artiste à l’aide de couvertures shuka d’origine kenyane, avec du papier mat protégé contre les UV ajoutant de la profondeur à la narration visuelle en couches. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 70 mm, f/9, 1/160 s, 100 ISO, © Alia Ali
Avec un capteur plein format de 45,7 millions de pixels, le Z9 offre à Alia la définition nécessaire pour agrandir ses images à taille réelle sans perdre en clarté, ce qui est essentiel lorsque chaque point, fil et ombre fait partie de l’histoire. « Avant, je réalisais des images assez petites, mais avec cet appareil photo, elles sont énormes », dit-elle. « Quand vous êtes près, je veux que vous voyiez chaque fil, jusqu’à sa qualité. » Compte tenu de l’importance cruciale des détails lorsqu’il s’agit d’aligner harmonieusement les textiles avec la photographie dans ses installations, Alia dit s’appuyer sur l’objectif NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S pour obtenir la netteté dont elle a besoin. « Cela me donne une profondeur de champ incroyable qui me permet de saisir tous les détails à la fois », explique-t-elle. « Vous pouvez littéralement voir chaque détail, pour le meilleur ou pour le pire ! Vous voyez chaque fil, même le plus petit morceau de duvet. Mais parfois, je choisis de le garder, parce que cela montre la réalité. Il s’agit d’un véritable tissu autour d’un véritable être humain. »

Versicolor Frequencies, Chromatic Crests et installation textile Uzbek Ikat, tapissée par l’artiste, série Flow, par Alia Ali. Galerie Peter Sillem, Francfort, Allemagne. 2023. Avec l’aimable autorisation de la Galerie Peter Sillem
Alors que de nombreux portraitistes privilégient les objectifs à focale fixe pour leur netteté et l’isolement du sujet, Alia préfère la flexibilité d’un 24-70 mm, qui lui permet de répondre de manière intuitive aux dynamiques en constante évolution de ses décors. « Je vois cela comme une performance, dit-elle. Il faut photographier toute la scène. Je ne sais jamais où les sujets vont se déplacer ni où je vais me placer par rapport à eux, donc je dois saisir tout l’espace. D’une certaine manière, il s’agit plutôt d’un paysage. Et si j’ai besoin d’un portrait plus serré plus tard, je peux le recadrer parce que j’ai déjà toutes les informations. Je trouve assez restrictif quand les gens disent ‘je fais des portraits’, comme s’il ne fallait faire qu’une seule chose. Avant, j’utilisais souvent un grand-angle, non pas pour l’effet, mais parce que je voulais inclure plus d’éléments, pour honorer la scène dans son intégralité. Je ne me sens plus obligée de le faire maintenant. Je peux être plus fidèle à l’espace lui-même. »
À ses débuts, Alia utilisait la lumière naturelle, mais aujourd’hui elle préfère la précision d’un environnement de studio contrôlé, où des configurations d’éclairage sur mesure lui permettent de soigner chaque détail, des ombres à la texture en passant par la couleur. « La lumière naturelle est belle, mais il est devenu important pour moi de contrôler complètement l’éclairage. Je travaille donc dans un studio, un espace obscurci où les lumières que j’utilise sont énormes et où je peux gérer tous les aspects de l’éclairage, explique-t-elle. Ce sont des lumières larges avec des filtres, qui donnent une qualité douce et homogène. Cette régularité est fantastique, mais j’utilise aussi parfois des grilles et un éclairage directionnel, principalement pour modeler l’arrière-plan. »

Revolt, qui fait partie de la série POPPY, explore l’effacement de la culture dans les régions déchirées par la guerre et le traumatisme ignoré de ceux qui sont envoyés combattre dans ces régions. Imprimée sur du papier mat protégé contre les UV et montée sur aluminium Dibond, l’œuvre est encadrée dans de la mousseline et du coton tapissés à la main, des matériaux qui font écho à la fragilité et à la vulnérabilité des thèmes abordés. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 46 mm, f/11, 1/60 s, 100 ISO, © Alia Ali
Impression à dessein
Une fois les images enregistrées et traitées, Alia collabore avec un spécialiste de l’impression parisien pour assortir méticuleusement les couleurs de l’impression finale à celles du tissu d’origine afin de garantir une cohérence visuelle et thématique. « Lorsque j’imprime, je veux que les gens voient le fil, la fibre elle-même, dit-elle. J’envoie également au spécialiste l’image et un échantillon du tissu et, ensemble, nous assortissons les couleurs avec précision. Nous ne nous contentons pas d’imprimer, nous réimprimons jusqu’à ce que ce soit exact. L’impression est ensuite laminée avec une protection UV et encadrée. Plus tard, je tapisse l’installation avec le même tissu, et c’est à ce moment-là que l’œuvre commence à passer du photographique au sculptural.
Au total, le processus peut durer un an, sept ans, voire toute une vie. Les gens pensent souvent que j’ai toute une équipe derrière le travail, mais je pense qu’ils sont surpris d’apprendre que c’est généralement moi qui suis derrière chaque étape. Je suis l’initiatrice de l’idée, parfois la créatrice de tissu, la photographe, parfois le sujet, et même la tapissière. »

Dans sa série SHREDS, Alia tisse des bandes de papier imprimé pour en faire un tissu sculptural qui joue avec la perception, la mémoire et la signification. Utilisant une méthode traditionnelle indonésienne qui enseigne le tissage avec des matériaux de rebut, elle transforme des textes jetés en quelque chose de tactile et de réfléchi, chaque lettre de la série éponyme émergeant des ténèbres comme des fragments de vérité oubliée. La pièce finale est montée sur aluminium dans une boîte d’ombre noire personnalisée, encadrée derrière un verre de musée anti-UV et antireflet. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 44 mm, f/11, 1/125 s, 100 ISO, © Alia Ali
Les conseils d’Alia pour saisir le monde à travers les textures et couleurs
- « Commencez par observer. Ne vous précipitez pas pour photographier. Il faut commencer par s’immerger dans la scène, s’imprégner des textures, des couleurs, du mouvement. Demandez-vous ce qui se passe réellement ici. »
- « Si vous photographiez quelque chose de texturé, approchez-vous des détails, puis reculez et observez l’ensemble. C’est ce va-et-vient qui donne vie à l’image. Vous voulez faire bouger votre spectateur, littéralement. Dans les expositions, je veux que le spectateur se promène autour de l’œuvre. Ce mouvement physique invite à une réflexion émotionnelle sous différents angles. »
- « L’éclairage est essentiel lorsque l’on travaille avec la couleur. J’ai vécu au Nouveau-Mexique, où la lumière naturelle est si rose et si belle, mais elle va influencer votre couleur. Les environnements où vous contrôlez la lumière vous permettent d’obtenir les couleurs voulues. »
- « Photographiez en format RAW et saisissez autant d’informations que possible. Vous pouvez toujours décider comment l’interpréter plus tard, mais donnez-vous d’emblée cette clarté et cette amplitude. »
- « Une image puissante persiste, comme les portraits de guerre de Don McCullin. Il ne s’agit pas seulement de ce qui est montré, mais aussi de ce qui est ressenti. Si vous photographiez des personnes, en particulier dans les endroits où les appareils photo peuvent sembler intrusifs, proposez-leur d’abord l’appareil photo, laissez-les vous prendre en photo. Cet échange crée quelque chose de plus honnête, de partagé, et vous obtiendrez ainsi des images plus authentiques. »

Dans Java, qui fait partie de la série BATIK, l’art traditionnel textile indonésien utilise de la cire et des teintures pour créer des motifs complexes sur le tissu. Le tissu batik permet de dissimuler le sujet, transformant le portrait en une étude de la stratification culturelle et du langage visuel. L’image est une impression pigmentaire sur papier mat Canson Baryta français, montée sur aluminium avec protection antireflet et UV, et présentée dans une boîte d’ombre en bois thuya fabriqué à la main, avec incrustations de feuilles d’or. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 44 mm, f/11, 1/125 s, 200 ISO, © Alia Ali
Plongée dans l’art d’Alia
Cette image, qui fait partie de la série CHROMA d’Alia Ali, explore la façon dont nous brouillons la frontière entre la réalité et l’identité numérique. Sommes-nous à l’intérieur de l’écran ou devant lui, libres ou encadrés ? Avec la couleur, le tissu et la précision en jeu, cette série est devenue une chorégraphie minutieuse de lumière et d’équilibre.

Série CHROMA. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 41 mm, f/11, 1/80 s, 1600 ISO, MADI (interface audio multicanal), © Alia Ali
« La série CHROMA explore l’idée de ce qu’est notre avatar, de ce qu’est notre réalité, à l’extérieur et à l’intérieur, derrière et devant les écrans, explique Alia. À quel moment en sortons-nous ? Et quand devenons-nous une partie de cela ? Sommes-nous coincés entre les deux ? Faisons-nous partie de ces barres ? Sommes-nous restreints par elles ? Ce qui est intéressant dans cette séance photo, c’est que j’ai fait fabriquer le tissu, choisi les couleurs, mais que le tissu, pour une fois, ne guidait pas le processus. Tout d’abord, il se produit une chose étonnante lorsque l’on présente la couleur de cette manière et qu’on la place à côté d’autres couleurs : elle change en fonction de celle qui est à côté. Par ailleurs, nous devions mesurer que les lignes étaient exactement à zéro. Il y avait donc tout un travail de nivellement pour s’assurer que tout s’alignait. Et encore une fois, c’est là que les vitesses d’obturation plus rapides du Z9 ont été utiles, car je suis en mouvement et le sujet essaie de ne pas bouger, mais il bouge quand même. Il fallait que l’éclairage soit absolument parfait, car je voulais éliminer autant d’ombres que possible. Ce travail a donc été particulièrement difficile. C’était une danse complètement différente. C’était un processus complètement différent. Et c’était passionnant. »

Glitzch, série GLITZCH. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 60 mm, f/11, 1/160 s, 100 ISO, © Alia Ali
Cette image saisit un « glitch » délibéré, un flou pictural où la netteté et la douceur s’entrechoquent. L’arrière-plan est d’une clarté cristalline, mais le tissu du sujet se fond légèrement dans le flou, créant une distorsion merveilleusement précise qui était trop intéressante pour être corrigée.
« Cette image est la raison pour laquelle j’ai appelé cette série GLITZCH, explique Alia. Parce que, si vous regardez attentivement, l’arrière-plan est net, mais le haut du tissu du sujet ne l’est pas. Lorsque vous avez cette petite zone floue contre un arrière-plan incroyablement net, vous voyez un flou qui devient très pictural. Le flou est si précis que nous avons décidé de le conserver. »
Image d’ouverture : dans Tandem, qui fait partie de la série GLITZCH qui explore les tensions entre notre moi physique et notre moi numérique, les deux personnages apparaissent comme des doubles en miroir, distincts mais connectés, ce qui, selon Alia, reflète les frontières floues entre le physique et le numérique. Z9 avec NIKKOR Z 24-70mm f/2.8 S, 44 mm, f/10, 1/160 s, 100 ISO, © Alia Ali
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